Assis sur les marches du monument aux mort de ce petit village endormi dans le siècle dernier, j’attendais, avec mon grand bâton en noisetier Dominique pour ramener à l’étable son troupeau des prairies de Béjure en échange d’une pièce. Soudain un nuage de poussière furieux, effrayant s’abbatit sur moi, dans le coucher du soleil de juin qui baignait soudainement de rose et de violet la mairie de Pradines et la maison.

Mes yeux se plissèrent et je le devinais entre les rayons qui transperçaient violemment les deux grandes fenêtres de la mairie, lui, mystérieusement déjà dans la pénombre de cette fin de chaude journée de juin, un pied à terre la clé à la main. Jean sur sa vieille moto.

Les grillons s’arrêtèrent soudain et les hirondelles disparurent. L’odeur de l’huile brulée et de l’essence s’imprégnait sur son casque bol gris, ses lunettes de chrome, de verre tout en biseau et son blouson marron .

Des myriades de moustiques, moucherons, abeilles écrasées, tapissaient l’énorme vitre de son phare avant allumé et le haut de son casque.

Le coeur d’un enfant de 8 ans reconnait toujours l’un des siens et j‘allais me jeter contre le coeur de cet homme qui ressemblait tellement à mon père et qui parlait si peu. Je connaissais la mélodie de son âme. Son parfum transcendait mon imaginaire.

Il allait rejoindre son studio, mais soudain il me cueillit dans ses bras prit son guidon un sac à dos et deux duvets jaunes sur ses épaules, fit ronfler sa moto et m’emmena avec lui dans la spirale du bonheur.

Assis sur le réservoir le dos contre le cuir de son blouson, protégé, bercé, légitime, et surement aimé, j’aurai été au bout du monde avec lui.

Nous survolions les champs de blés dont la poussière colorait mon polo, transpercions les sous bois soudain plus frais , traversions la Méditerranée en bateau couchant sur le dernier pont a la belle étoile remontions à Cagliari pour arriver à Calasetta.

Nous traversions des villes inconnues dont les terrasses de café s’agitaient dans une ambiance musicale effrénée, des rires, de la joie comme s’il en pleuvait.

 » nous sommes invités chez des phéniciens  » m’a t il doucement murmuré a l’oreille.

Depuis j’ai beaucoup voyagé , mais je n’ai jamais oublié ce périple à l’avant gout de paradis.

Il a forgé en moi la force de se surpasser devant les épreuves de la vie, la conscience de toujours apprécier le moment présent, il m’a apporté la certitude que quand il y a la volonté il ya toujours un chemin et les bras de mon oncle pour me protéger, la vulnérabilité pointant toujours le bout de son nez.

Je ne l’oublie pas il fait partie de moi. Cette poésie intérieure, cette couleur de l’âme j’ai voulu la retrouver en y retournant cette année. 

J’ai essayé avec de la peinture et du papier de vous faire partager la matière première de l’audace de la joie, même si maintenant il est quelquefois difficile de trouver des étrusques vous invitant dans leur maison ou leur jardin et un ami avec qui partager un voyage à coeur ouvert.